L’influence de la musique arabe sur la musique médiévale européenne
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La tradition musicale arabe a exercé une influence significative et durable sur le développement de la musique européenne à l’époque médiévale. Cette influence se reflète dans divers aspects de l’art musical : de l’instrumentation et de la théorie musicale aux styles d’interprétation et aux formes musicales. Les échanges culturels entre le monde arabe et les États européens, particulièrement intenses entre le VIIIe et le XVe siècle, ont jeté les bases de nombreuses innovations musicales qui sont devenues plus tard des éléments importants de la tradition musicale européenne. Cette étude met en lumière les voies historiques de la diffusion de la musique arabe en Europe, analyse des zones d’influence spécifiques et examine les personnalités les plus importantes qui ont contribué à ces échanges culturels.
2 Le chemin de la tradition musicale arabe vers l’Europe
3 Instruments de musique d’origine arabe
4 Influence sur la théorie musicale et la notation
5 Influence sur les formes et les styles musicaux
6 Les personnalités clés des échanges culturels
7 Un héritage durable
8 Traductions et transfert de connaissances
9 Recherches modernes sur l’impact
Contexte historique des échanges culturels
L’interaction entre les mondes arabe et européen remonte à plusieurs siècles, conditionnée par divers facteurs : proximité géographique, relations commerciales, conflits militaires et conquêtes. L’Âge d’or islamique (VIIIe-XIVe siècles), qui coïncidait avec le Moyen Âge européen (VIe-XVe siècles), a été une période particulièrement significative en matière d’échanges culturels. Durant cette période, le califat islamique était un empire mondial s’étendant de l’Inde à l’Espagne, créant ainsi les conditions propices à la diffusion de la culture arabe, notamment musicale, sur de vastes territoires.

Il convient de noter que le terme «Moyen Âge» s’applique principalement à l’histoire européenne, période de relative faiblesse culturelle comprise entre la chute de l’Empire romain (476 apr. J.-C.) et le début de la Renaissance (vers 1400 apr. J.-C.). À la même époque, la civilisation arabe était florissante. Grâce aux conquêtes de l’Empire islamique, les musiques arabe et persane se sont répandues dans toutes les directions : vers l’ouest, à travers l’Afrique du Nord, jusqu’à la péninsule ibérique musulmane (Al-Andalus), vers l’est, jusqu’en Asie centrale et en Chine, et vers le sud-est, jusqu’en Inde.
Le contraste entre la diffusion mondiale des influences musicales du Moyen-Orient et le relatif isolement de la musique européenne durant la période médiévale souligne l’importance de cet échange culturel. La diffusion mondiale des musiques arabe et persane montre que la diffusion ultérieure de la musique occidentale à l’échelle mondiale était le résultat du colonialisme européen plutôt qu’un processus inévitable.
Al-Andalus, territoire de la péninsule ibérique sous domination musulmane du VIIIe siècle à 1492, joua un rôle particulièrement important dans cette interaction. Cette région devint un espace clé d’échanges culturels entre les mondes islamique et chrétien. La Sicile, conquise par les musulmans en 965 et reprise par les Normands en 1091, fut également une importante zone d’interaction, où se développa une culture syncrétique normande, arabo-byzantine.
Le chemin de la tradition musicale arabe vers l’Europe
La diffusion de la musique arabe en Europe s’est faite par plusieurs canaux principaux. Tout d’abord, grâce au rôle important des commerçants, des érudits et des pèlerins, qui ont pu acquérir des instruments de musique et les rapporter chez eux. Des traces existent à l’époque d’Ibn Rushd (mort en 1198) pour la production d’instruments de musique, dont certains étaient exportés, probablement vers des non-musulmans, via les régions d’Europe sous domination musulmane.
Deuxièmement, des chanteurs, musiciens et conteurs itinérants, généralement accompagnés de leurs instruments, visitaient les villes et villages chrétiens, notamment dans le nord de l’Espagne, le sud de la France et l’Italie. Par exemple, un instrument populaire appelé rabab (rebec) était souvent utilisé pour accompagner les récitations poétiques. Comme l’a noté l’historien Farmer : « Les instruments eux-mêmes n’étaient pas les seuls à être empruntés. Le ménestrel arabe itinérant fut le principal vecteur de diffusion de ces instruments orientaux, et il transmit simultanément un nouveau type de musique. Il pourrait bien être le fondateur de la classe des ménestrels itinérants qui se répandit dans toute l’Europe. »
Troisièmement, les traducteurs et leurs traductions ont joué un rôle important dans la diffusion des idées musicales arabes, notamment à partir du XIIe siècle. Les idées d’érudits tels qu’al-Farabi (Alpharabius) et Ibn Sina (Avicenne) ont été traduites en latin et adoptées par des auteurs européens, dont Vincent de Beauvais (mort en 1264), le Pseudo-Aristote (vers 1270), Roger Bacon (mort en 1280), Walter Odington (vers 1280) et Jérôme de Marawiya (XIIIe siècle).
La diffusion de la musique arabe fut également facilitée par les érudits chrétiens qui séjournèrent quelque temps en terre d’Islam. Il est bien connu que la musique était enseignée dans les collèges andalous. Ibn Farnès (mort en 888) fut le premier à l’introduire comme une part importante du programme scolaire.
Les villes de Tolède (surtout après sa conquête par les chrétiens espagnols en 1085) et de Sicile devinrent les principaux points de transmission du savoir islamique en Europe. En Sicile, après la conquête islamique de l’île en 965 et sa reconquête par les Normands en 1091, une culture syncrétique normande, arabo-byzantine se développa, illustrée par des souverains comme le roi Roger II, qui comptait à sa cour des soldats, des poètes et des érudits musulmans.
Instruments de musique d’origine arabe
L’un des domaines d’influence les plus évidents de la culture musicale arabe sur la culture européenne fut celui des instruments de musique. Au Xe siècle, la péninsule Ibérique musulmane était devenue un centre de production d’instruments de musique. Ces instruments se répandirent progressivement en Provence, influençant les troubadours et trouvères français, avant de gagner le reste de l’Europe.
De nombreux noms d’instruments européens ont été empruntés à l’arabe. Les mots anglais luth, rebec, guitar et naker proviennent tous des mots arabes al-’ud, rabab, qitara et naqqara. Certains termes arabes (comme qitara) ont été empruntés au latin vulgaire, au grec et à d’autres langues comme le persan.
Non seulement les instruments eux-mêmes furent empruntés et utilisés, mais ils jouèrent également un rôle fondamental dans l’évolution de la musique européenne, d’autres instruments « européens » s’en développant. Par exemple, l’al-oud (luth) était largement utilisé en Europe avant de se transformer en d’autres instruments de musique, notamment la guitare et la mandoline. La gaita espagnole et portugaise, le wavgh anglais et la cornemuse dérivent tous de la ghaita arabe.
Le kanun a inspiré les premières harpes anglaises et irlandaises (IXe siècle) et a servi de base à la cithare autrichienne (allemande). Les instruments à cordes, connus sous le nom de vièles, descendent du kamancha persan et du rabab arabe. Les cuivres européens, comme le cor français et la trompette, descendent tous de la zurna. Certains chercheurs suggèrent que leur forme a été influencée par le cor byzantin introduit en Europe au Xe siècle, mais Byzance elle-même était sous l’influence instrumentale musulmane.
Le santour (cymbales) persan, constitué d’une boîte en bois contenant de 12 à 18 cordes et de deux rangées mobiles de chevalets sur lesquels l’interprète frappe les cordes de chaque côté des chevalets avec des marteaux en bois légers, a conduit au développement d’instruments à clavier, notamment le pantaléon (1697) et le piano (18e siècle).
Influence sur la théorie musicale et la notation
L’influence de la théorie musicale arabe sur la musique européenne fut tout aussi importante que son influence sur l’instrumentation. Plusieurs indices dans les traités de musique latins médiévaux permettent de retracer le cheminement qui mène à la conclusion selon laquelle les enseignements et les œuvres des théoriciens de la musique arabes et/ou mozarabes ont également influencé la théorie musicale d’Europe occidentale.
Des théoriciens de la musique arabe tels qu’al-Farabi (872-950/951), auteur du Kitab al-Musika al-Kabir (Le Grand Livre de la Musique), et Safi al-Din al-Urmawi (1216-1294), ont produit des ouvrages fondamentaux sur la théorie musicale, traduits ultérieurement en latin et qui ont influencé les auteurs européens. L’ouvrage d’al-Farabi décrit divers aspects de la musique, tels que les maqamat (systèmes modaux), et semble avoir été influencé par la théorie pythagoricienne des relations harmoniques.
L’influence de la théorie arabe sur le développement de la notation et du solfège européens est particulièrement intéressante. Le célèbre système de solfège (do, ré, mi, fa, sol, la et si) est largement connu sous le nom de latin, dérivé des syllabes de l’Hymne de saint Jean. Son invention, en 1026, est attribuée au musicien italien Guido d’Arezzo (vers 995-1050). Cependant, certains érudits, comme Villoto (mort en 1839), adoptèrent la position de Laborde, reconnaissant l’influence musulmane sur la théorie musicale.
En comparant l’échelle musicale de Guido avec celle des musulmans, il découvrit des similitudes frappantes qui le conduisirent à penser que le premier avait emprunté sa théorie aux musulmans. Guido d’Arezzo, moine bénédictin de la cité-État italienne d’Arezzo, remarqua la difficulté qu’avaient les chanteurs à mémoriser les chants grégoriens par cœur, d’autant plus que la liturgie se développait rapidement et que de nouveaux jours de fête s’ajoutaient au calendrier.
Il inventa une méthode permettant aux chanteurs d’apprendre des chants en peu de temps, sans l’aide d’un « maître », et devint rapidement célèbre dans toute l’Italie du Nord. Soriano est connu pour avoir découvert que Guido avait étudié en Catalogne. Junque établit que des syllabes arabes se trouvaient dans un traité latin du XIe siècle écrit au Mont-Cassin, lieu occupé à plusieurs reprises par les musulmans et refuge de Constantin l’Africain, le grand érudit tunisien qui quitta Tunis pour Salerne, puis pour le Mont-Cassin.
Au milieu du IXe siècle, Aurélien de Rome, considéré comme le premier théoricien de la musique avec Rème d’Auxerre, mentionna une nouvelle théorie musicale à huit tons, bien qu’il prétendît l’avoir tirée de sources grecques. Pseudo-Hucbald, Pseudo-Bernelin et Notker Labeo (1022) utilisèrent tous la notation phonétique (alphabétique), une méthode d’abord utilisée par les musulmans, notamment al-Kindi (mort en 874). Hermann Contractus (mort en 1054) fut profondément influencé par l’érudition musulmane. Plusieurs ouvrages érudits lui sont attribués, dont De mensura astolabii et deux autres traités de musique.
Modalité et modes d’Église
Les traités d’Enchiriadis, écrits dans la seconde moitié du IXe siècle, sont également remarquables pour avoir transmis l’un des premiers états de la théorie des modes ecclésiastiques. Les enseignements musicaux des traités d’Enchiriadis s’articulent autour de deux concepts théoriques : la notion de finalis (ton final) et l’ambitus, ou étendue mélodique. Il est intéressant de noter qu’ils ne traitent pas des modes d’octave ni de l’ambitus théorique d’octave, pourtant fondamental pour les définitions ultérieures du mode. De même, ils ne traitent pas des formules tonales des psaumes.
Les enseignements modaux des Enchiriadis s’articulent autour de deux concepts théoriques : la notion de finalis (ton final) et d’ambitus, ou étendue mélodique. Les traités comportent quatre finalis (protus, deuterus, tritus et tetrardus), chacun donnant son nom aux modes authentique et plagal et les dominant. Les finalis correspondent aux modes modernes ré, mi, fa et sol. Le finalis est le déterminant fondamental du mode, ainsi nommé car toute mélodie correcte se termine sur l’un de ces quatre modes.
L’accordage utilisé dans l’Europe médiévale était également différent de notre système habituel de tempérament égal. Il s’agissait d’un système d’intonation pure, basé sur la quinte juste pure. Dans ce système, les demi-tons n’étaient pas tous égaux. De légers ajustements étaient apportés à l’accordage et aux intervalles pour les rendre plus agréables à l’oreille ; l’oreille médiévale avait des préférences différentes de nos oreilles modernes. C’est une autre raison pour laquelle les modes sonnaient très différemment les uns des autres, bien que cette caractéristique puisse disparaître aujourd’hui lorsqu’un choral est interprété en tempérament égal.
Influence sur les formes et les styles musicaux
La musique arabe a eu une influence significative non seulement sur l’instrumentation et la théorie, mais aussi sur les formes et styles musicaux qui se sont développés dans l’Europe médiévale. L’un des exemples les plus frappants est son influence sur la tradition des troubadours et des trouvères.
Les troubadours et trouvères étaient des chanteurs et auteurs de poésie lyrique qui écrivaient généralement sur la chevalerie et l’amour courtois. La tradition des troubadours est née dans le sud de la France à la fin du XIe siècle et s’est répandue en Italie et en Espagne au XIIe siècle. L’homologue féminin du troubadour était le trobairitz, et le terme trouvère désigne les auteurs-compositeurs-interprètes du nord de la France.
On attribue souvent à ces compositeurs-interprètes l’invention de formes fixes de musique et de poésie profanes, qui ont donné naissance à certaines des formes lyriques modernes que nous utilisons encore aujourd’hui, comme la forme couplet-refrain. Bien que ce sujet fasse encore l’objet d’un vif débat, de nombreux historiens de la musique et spécialistes du Moyen Âge pensent que ces poètes-compositeurs européens ont puisé leurs formes littéraires et musicales dans le monde arabe. La poésie andalouse, c’est-à-dire la poésie écrite en Espagne sous la domination islamique, pourrait notamment avoir servi de fondement aux troubadours.
La musique d’al-Andalus (Ibérie musulmane) trouverait son origine dans l’émirat de Cordoue (al-Andalus) au IXe siècle. Ziryab (mort en 857), né et élevé en Irak, qui devint plus tard musicien à la cour d’Abd al-Rahman II à Cordoue, est parfois considéré comme son inventeur. Plus tard, le poète, compositeur et philosophe Ibn Bajjah (mort en 1139), de Saragosse, est crédité d’avoir fusionné le style de Ziryab avec les approches occidentales pour créer un style entièrement nouveau qui s’est répandu dans toute la péninsule ibérique et l’Afrique du Nord.
L’influence de la musique et de la poésie musulmanes sur la diffusion des jongleurs médiévaux en Espagne et dans le sud de la France est bien documentée. La poésie des troubadours espagnols, par exemple, pourrait trouver ses racines dans le muwashshah andalou et le zajal, des formes de vers à refrains répétés, souvent chantés avec accompagnement musical.
tradition musicale andalouse
Ahmad al-Tifashi (mort en 1253), dans son ouvrage encyclopédique Fasl al-khitab fi madarik al-khawas al-khams li-uli al-albab, a divisé la tradition musicale andalouse en quatre types : le nasheed, le sawt, le muwahhash et le zajal. Le nasheed était un poème monorime classique composé d’un istihlal (prélude vocal pré-composé, probablement accompagné d’une réponse instrumentale) et d’un amal (composition combinant parties vocales et instrumentales).
La musique classique andalouse (arabe : طرب أندلسي, romanisée : tarab andalusi ; espagnol : música andalusí), également appelée musique andalouse ou musique arabo-andalouse, est un genre musical initialement développé en al-Andalus par la population musulmane de la région et les Maures. Elle s’est ensuite répandue et a influencé de nombreux styles différents à travers le Maghreb (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc, Tunisie) après l’expulsion des Morisques.
Certains de ses poèmes proviennent d’auteurs célèbres tels qu’al-Mu’tamid ibn Abbad, Ibn Khafaja, al-Shushtari et Ibn al-Khatib. Cette tradition a profondément influencé le développement musical de l’Europe du Sud, notamment la formation des styles troubadour et ménestrel qui se sont ensuite répandus sur tout le continent.
Les personnalités clés des échanges culturels
Plusieurs personnalités ont joué un rôle important dans le développement et la diffusion de la musique arabe, ainsi que dans son influence sur la tradition européenne. L’une des plus célèbres est Ziryab (mort en 857), dont le nom signifie « merle », un terme arabe familier. Cet esclave affranchi connut le succès en séduisant la cour royale de Cordoue par ses chansons. Il fonda une école de musique dont la renommée perdura plus de 500 ans après sa mort.
Ibn Hayyan de Cordoue, l’un des plus grands historiens de l’Espagne arabe, affirme dans son œuvre monumentale, Al-Muqtabas, ou Citation, que Ziryab connaissait des milliers de chansons par cœur et révolutionna la conception d’un instrument de musique, le luth. Il diffusa ce nouveau style musical dans toute la Méditerranée, influençant les troubadours et les ménestrels, ainsi que le cours de la musique européenne.
Il était également l’arbitre du goût, du style et des manières de sa génération et exerça une influence considérable sur la société européenne médiévale. La façon dont les gens s’habillaient, ce qu’ils mangeaient et comment ils mangeaient, leur façon de se coiffer, la musique qu’ils appréciaient – tout cela était influencé par Ziryab. Si vous mangez des asperges, si vous commencez votre repas par une soupe et le terminez par un dessert, si vous utilisez du dentifrice ou si vous portez une frange, vous le devez à l’un des plus grands musiciens de l’histoire : Ziryab.
Une autre figure marquante fut Ibn Bajja, également connu en Occident sous le nom d’Avempace, personnage aux multiples facettes qui exerça une influence majeure sur le milieu intellectuel et culturel de la Méditerranée médiévale. Né à Saragosse, dans le nord de l’Espagne, Ibn Bajja était non seulement un philosophe profond, mais aussi vizir auprès de divers souverains almoravides, d’abord dans sa ville natale, puis à Xàtiva, dans le sud de l’Espagne, avant de s’installer définitivement à Fès, au Maroc, où il mourut vers 1139.
Bien qu’Ibn Bajjah soit principalement connu pour ses contributions philosophiques, il a exercé une influence notable sur le domaine de la musique en tant que théoricien et praticien. Son Kitab fi al-nafs (Livre de l’Âme) aborde le thème de l’acoustique, témoignant de son engagement dans les aspects scientifiques de la musique. Malheureusement, son traité sur la musique, réputé exhaustif et comparable à l’œuvre du célèbre philosophe al-Farabi, n’a pas survécu jusqu’à nos jours.
Malgré la perte de cette œuvre importante, la réputation d’Ibn Bajja, compositeur et joueur talentueux d’oud, un instrument à manche court semblable au luth, perdura pendant des siècles. Ses chansons furent encore mentionnées par l’éminent historien et philosophe arabe Ibn Khaldoun des siècles après sa mort.
Al-Farabi et al-Urmawi : théoriciens de la musique
Al-Farabi (872-950/951) est une autre figure clé de l’histoire de l’influence de la musique arabe sur la musique européenne. Son Kitab al-Musika al-Kabir (Le Grand Livre de la Musique) fut un traité influent sur la musique en langue arabe. Il y décrit divers aspects de la musique, tels que les maqamat (systèmes modaux), et on pense qu’il a été influencé par la théorie pythagoricienne des relations harmoniques.
Le livre fut traduit en hébreu par Joseph ben Judah ibn Aqnin et influença les théoriciens de la musique européens jusqu’au XVIIIe siècle. Al-Farabi divisa le Kitab al-Musiqa al-Kabir en deux traités. Le premier traité se compose de deux parties ; suivant la tradition aristotélicienne, al-Farabi divisa son étude de la musique en aspects théoriques et pratiques. La première partie, composée de deux discours, est une introduction, établissant les principes théoriques de la musique et examinant la génération du son. La seconde partie applique les principes théoriques établis dans la première partie aux instruments de musique utilisés à l’époque d’al-Farabi et aborde les intervalles musicaux et les différents types de mélodies.
Safi al-Din al-Urmawi al-Baghdadi (né vers 1216 à Ourmia, mort en 1294 à Bagdad) était un musicien et un auteur de théorie musicale. D’après sa terminologie, le système modal «international» d’al-Urmawi visait à représenter les traditions locales arabes et persanes dominantes.
Jeune homme, il se rendit à Bagdad et reçut une éducation en langue, littérature, histoire et calligraphie arabes. Il acquit une renommée d’excellent calligraphe et fut nommé copiste à la nouvelle bibliothèque construite par le calife abbasside al-Musta’sim. Il étudia également le droit chaféite et le droit comparé (Khilaf Fiqh) à la madrasa Mustansiriya, ouverte en 631 H (1234 apr. J.-C.).
Un héritage durable
L’influence de la musique arabe sur la tradition musicale européenne a été profonde et durable, bien que souvent méconnue dans les études historiques traditionnelles. De nombreux instruments de musique sont arrivés à la civilisation européenne par la civilisation islamique, et une grande partie de ces apports est peu connue et rarement reconnue.
Les preuves linguistiques issues des noms d’un large éventail d’instruments établissent clairement leur origine arabo-musulmane. Non seulement ces instruments furent adoptés et utilisés, mais ils jouèrent également un rôle important dans l’évolution de la musique européenne, d’autres instruments « européens » en étant dérivés.
Outre les instruments, la musique arabe a influencé la théorie musicale, notamment par la traduction d’importants traités arabes en latin. Les œuvres d’al-Farabi ont influencé les théoriciens de la musique européens jusqu’au XVIIIe siècle, enseignant par exemple le rapport 5/4 (tierce majeure), jusque-là quasiment inconnu en Occident.
L’influence de la musique arabe sur la tradition des troubadours et des trouvères fut également significative. On attribue souvent aux troubadours et aux trouvères l’invention de formes fixes de musique et de poésie profanes, qui ont donné naissance à certaines des formes lyriques modernes que nous utilisons encore aujourd’hui. Cependant, de nombreux historiens de la musique et érudits médiévaux pensent que ces poètes-compositeurs européens ont puisé leurs formes littéraires et musicales dans le monde arabe, et notamment dans la poésie andalouse.
Le rôle des ménestrels arabes nomades dans la diffusion des instruments orientaux et d’un nouveau type de musique à travers l’Europe est également difficile à surestimer. L’influence de la musique et de la poésie musulmanes sur la diffusion des jongleurs médiévaux en Espagne et dans le sud de la France est bien documentée.
Ainsi, l’histoire de la musique européenne doit peut-être davantage à la culture arabe qu’on ne le croit généralement. La mondialisation des dernières décennies a donné lieu à des collaborations interculturelles passionnantes entre musiciens. Cependant, nous avons toujours été une société mondiale, où les sonorités de nombreuses cultures se mêlent pour créer de nouvelles formes d’expression. Depuis le Moyen Âge, les musiciens européens ont adopté avec enthousiasme les traditions musicales du monde entier, du sous-continent indien aux rivages de l’Afrique du Nord. De fait, l’un des phénomènes les plus marquants de l’histoire de la musique européenne est peut-être celui issu de la culture arabe.
Traductions et transfert de connaissances
Les traducteurs ont joué un rôle particulier dans la transmission du savoir musical. Gérard de Crémone (1114-1187), qui travailla à Tolède après la conquête de la ville par les chrétiens espagnols en 1085, traduisit de nombreux ouvrages arabes en latin, notamment des ouvrages musicaux. L’influence du traité d’al-Farabi, Ihsa al-Ulum (De scientiis), sur les auteurs musicaux d’Europe occidentale fut considérable.
Le projet, qui se concentre sur les traces de musique arabe et de théorie musicale dans les manuscrits latins médiévaux d’Europe occidentale en tant que phénomènes multilingues, se concentre sur trois études thématiques : l’utilisation de la terminologie arabe dans les diagrammes des traités musicaux latins, la matérialisation de la théorie musicale arabe dans les traductions latines des œuvres d’al-Farabi et les références aux textes et à la musique arabes dans les compositions d’Europe occidentale.
Ils examinent pour la première fois la réception, les voies de diffusion et les défis liés à l’acculturation de la musique et de la théorie musicale arabes au Moyen Âge latin, à partir d’une perspective intégrant les preuves matérielles des manuscrits. Cela permet de mieux comprendre comment s’est déroulé le processus d’échange culturel et quels éléments spécifiques de la musique arabe ont été adoptés par la tradition européenne.
Les idées d’al-Farabi (Alpharabius) et d’Ibn Sina (Avicenne) furent traduites en latin et adoptées par Vincent de Beauvais, le Pseudo-Aristote, Roger Bacon, Walter Odington et d’autres érudits européens. Ces traductions contribuèrent à la diffusion de la théorie et de la pratique musicales arabes en Europe et eurent une influence significative sur le développement de la pensée musicale européenne.
Synthèse des traditions
Les échanges culturels entre les traditions musicales arabes et européennes étaient bidirectionnels, même si, à l’époque médiévale, c’est la musique arabe qui a exercé une plus grande influence sur la musique européenne que l’inverse. Cet échange a conduit à une synthèse des traditions qui a enrichi les deux cultures.
Il est extrêmement rare qu’une culture soit complètement isolée d’une autre, surtout lorsque les déplacements et les communications entre les régions sont aisés : la plupart des gens, dans la plupart des endroits, s’efforcent de s’entendre plus ou moins bien, même lorsque leurs différences sont marquées. La musique européenne du Moyen Âge et de la Renaissance ne fait en aucun cas exception à cette règle d’échange.
Pour un exemple plus long et plus complexe d’hybridation culturelle en Europe, il suffit de se pencher sur la rencontre inédite d’influences qui eut lieu dans ce qui était alors la péninsule ibérique, ou al-Andalus. C’est là que se sont réunis, au fil des siècles, des peuples d’Ibérie, d’Afrique et du Moyen-Orient, issus de traditions culturelles concurrentes et imbriquées. Dans ce contexte, une synthèse musicale d’une extraordinaire ampleur s’est opérée, donnant naissance à une musique andalouse unique, qui s’est ensuite répandue dans toute l’Europe.
Bien qu’il soit impossible d’affirmer avec certitude dans quelle mesure la musique d’Al-Andalus ou du monde islamique a influencé la musique de l’Europe médiévale, de nombreux témoignages témoignent de l’intersection de ces traditions. La musique européenne du Moyen Âge ne s’est pas développée de manière isolée, mais en interaction constante avec d’autres cultures musicales, notamment avec la culture arabe, alors en plein essor.
Recherches modernes sur l’impact
La question de l’influence arabe sur la musique d’Europe occidentale a suscité un intérêt croissant de la part des chercheurs ces dernières années. Dans le domaine artistique, la classe des ménestrels médiévaux a non seulement adopté les instruments arabes eux-mêmes, tels que le luth (oud), le rebec (rabab), la guitare (kitara) et d’autres, mais aussi les techniques musicales de leurs interprètes.
Dans les arts théoriques, les indices contenus dans les traités latins médiévaux sur la musique nous permettent de suivre un chemin qui nous conduit à la conclusion que les enseignements et les écrits des théoriciens de la musique arabes et/ou mozarabes ont également influencé la théorie musicale d’Europe occidentale.
La recherche moderne montre que l’influence de la musique arabe a été bien plus importante qu’on ne le pensait. Un projet récemment lancé vise à étudier les traces de musique et de théorie musicale arabes dans les manuscrits latins médiévaux d’Europe occidentale. Trois études de cas portent sur l’utilisation de la terminologie arabe dans les diagrammes des traités de musique latins, la matérialisation de la théorie musicale arabe dans les traductions latines des écrits d’al-Farabi, et les références aux textes et à la musique arabes dans les compositions d’Europe occidentale.
Ils examinent pour la première fois la réception, les voies de diffusion et les défis liés à l’acculturation de la musique et de la théorie musicale arabes au Moyen Âge latin, à partir d’une perspective incluant les preuves matérielles des manuscrits. Ces études nous aident à mieux comprendre comment s’est déroulé le processus d’échange culturel et comment la tradition musicale arabe a influencé le développement de la musique européenne.
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