Héritage de l’impressionnisme de Claude Monet Automatique traduire
Mais il faut maintenant considérer le destin fondamental de Monet, sa signification particulière et la responsabilité qui lui incombe. Bien entendu, on ne peut se contenter de caractériser l’impressionnisme sur la base d’un certain nombre de caractéristiques techniques : le plein air, l’absence de lumière et de tonalité locale, la séparation des couleurs et l’utilisation systématique de l’agrandissement. Tous ces éléments se retrouvent dans les modes d’expression de nombreuses écoles françaises et étrangères anciennes. Les impressionnistes ont su rassembler ces éléments jusqu’alors rares et organiser leur utilisation de manière à s’exprimer d’une façon particulière, unique et originale. Le facteur humain était tout aussi important. L’impressionnisme semble être né d’un besoin de liberté, d’une grande soif de vivre et de la recherche d’une transformation fondamentale de la peinture dans sa signification.
❶ Origines et influences
❷ Histoire ancienne
❸ Impressionniste Édouard Manet
❹ Impressionniste Claude Monet
❺ Impressionnistes Renoir, Sisley, Pissarro, Degas, Cézanne
❻ Monet et Pissarro à Londres
❼ Développement de la peinture impressionniste
❽ Expositions impressionnistes
❾ Regroupement
❿ Héritage
Les peintres impressionnistes veulent aller vite et de l’avant, éprouver des sensations fortes et urgentes, et ils le font instinctivement, car chez eux, et surtout chez Monet, l’instinct joue un rôle essentiel ; ils ont recours à la lumière et au mouvement. Mais au-delà de ces deux éléments, ils s’efforcent de capter et d’exprimer un sentiment vivant et turbulent. A l’opposé de la durée idéale que les artistes de la Renaissance cherchaient à exprimer par la permanence, ils affirment une qualité active et dynamique de telle sorte que l’expérience du sentiment permette à tous de le saisir et de l’éprouver. Ainsi, les impressionnistes sont en quelque sorte des réalistes. Ils produisent en peinture une des idées fondamentales immédiates de notre conscience, et Zola a pu se sentir en affinité avec eux dès leur création.
Chacun, selon son tempérament, choisit la voie la mieux adaptée à son hypothèse. Un seul doit avoir le courage et la détermination de mener jusqu’au bout son étude de la sensation. Monet ne ménage rien pour la saisir, l’aborde étape par étape et parvient à s’identifier à elle, au risque de détruire l’image traditionnelle des choses. Pour plus de détails, voir : Les caractéristiques de la peinture impressionniste 1870-1910
On reproche parfois à Monet sa virtuosité, son absence de système préconçu, ou de plier son métier aux exigences de son cœur pour préserver l’intégrité et la pureté de ses sensations. En Normandie, par exemple, il n’hésite pas à donner à ses toiles la teinte crayeuse indiquée par le sujet.
Sa maîtrise n’est jamais systématique, qu’il s’agisse des champs d’herbe ou des haies de Poissy ou de Giverny, des rochers et de la mer de Varengeville ou d’Etretat, de la neige et de la glace qu’il va étudier en Norvège (1895). Pour chaque texture, il trouve un équivalent pictural. Pour incarner chaque matière, sa main invente une façon particulière de superposer la peinture tout en conservant le style. Il utilise des touches légères et fragmentaires, il laisse sur la toile de longues et lentes touches ou des zébrures, il fait place à des masses de couleurs avec des touches papillon vives et papillonnantes («Rochers à Purville», 1882). Si un objet éveille ses sentiments colorés orageux, il s’y soumet («Manneport» et «Etretat», 1886).
Le feuillage tremblant est traduit par de longues touches pointilleuses ou, au contraire, allégé et réduit à un flou («Peupliers à Giverny», «Lever de soleil», 1888). Les toiles qu’il peint à Juan-les-Pins et au Cap Martin en 1888 montrent qu’il sait subordonner son art aux exigences d’un lieu, voire de sa géologie.
Lors d’un séjour à Bordighera sur la Riviera italienne, sa peinture éclate soudain et devient vive. Ayant découvert cette région avec Renoir, il y retourne ensuite seul afin de conserver les sensations sans influences extérieures qui pourraient altérer l’intensité de ses impressions. Il avoue à Paul Durand-Ruel : "Cela fera hurler les ennemis du bleu et du rose, car c’est cet éclat même, cette lumière enchanteresse que je m’efforce de reproduire. Ceux qui n’ont pas vu ce pays ou qui l’ont mal vu, j’en suis sûr, crieront à l’invraisemblance, bien que je sois certainement très en dessous des tons : tout est bleu et ardent de couleur."
La disposition des lieux, le caractère du décor choisi le lui révèlent. De Londres (1901) et de Venise (1908), il rapporte une série de toiles audacieuses où le Parlement, les ponts, les palais et les églises se fondent en poudres colorées. Le phénomène de la lumière est tellement développé que la réalité en est transformée. D’autres œuvres ont été peintes en série : Meules de foin (1891), Peupliers (1892), Cathédrales (1895), Rochers et matin sur la Seine (1898), «Étang aux nénuphars» (1900). Ces célèbres séries sont comme des carnets de croquis dans lesquels les impressionnistes démontrent clairement leurs raffinements techniques et leurs expérimentations sur la sensation. Mais dans chaque toile prise individuellement, Monet prouve constamment son ingéniosité en répondant aux exigences spécifiques du sujet. Ce faisant, la systématicité du projet est tout simplement géniale.
Monet semble vouloir se convaincre de la validité de son raisonnement. Cette étude de la sensation était-elle trop facile, trop superficielle, comme l’ont dit les critiques? N’est-il pas trop libéral, «laissant l’œil vivre sa propre vie»? N’offre-t-il pas une perspective assez large sur l’être humain? La seule réponse est la passion de Monet pour son œuvre.
Inarrêtable, il revient sans cesse sur le même thème, mais il parvient à la variété. D’une toile à l’autre, il change l’angle de vue et modifie la géométrie plastique sous-jacente. Sa vue baisse, l’âge se fait sentir, mais il parvient à exprimer le mouvement du temps, à traduire en peinture l’équivalent des sensations au moment où elles sont vécues.
La tension le pousse au désespoir. Pour traduire les fruits abondants de sa perception, il change momentanément de méthode. Il écrit par paquets, virgules, points, taches juxtaposées ou bandes zébrées, selon les cas. Ses sujets sont brillants ou ternes, empilés ou en forme de profondeur.
La lumière semble venir de la profondeur même de la couleur et se diffuser à travers elle. Cette peinture transcende les règles conventionnelles, soumettant ceux qui la regardent à une sorte de torture visuelle. Elle est d’autant plus provocante qu’elle n’est qu’un effet de la nature, une vibration de l’atmosphère, mais qu’elle tente de résoudre un problème très différent. Ces séries sont donc à prendre comme une sorte d’exercice dans lequel Monet teste sa force, sa ténacité, la puissance et la précision de ses analyses. Elles le préparent à la fameuse Suite «des Nymphéas», qui deviendra son chef-d’œuvre.
Il aborde ce sujet en 1899, mais ce n’est qu’en 1916 - bien après que la peinture post-impressionniste ait fait son apparition - qu’il commence le grand travail décoratif qui se trouve aujourd’hui au musée de l’Orangerie. Il y consacre toute son énergie. Après sa mort, le 26 décembre 1924, ce sera sa dernière pensée, sa dernière occupation.
Parmi les œuvres importantes de Monet, citons «Femmes au jardin» (1867, Musée d’Orsay) ; «Grenouiller» (1869, Metropolitan Museum of Art, New York) ; Plage de Trouville (1870, Wadsworth Atheneum, Hartford) ; Impression, lever de soleil (1873, Musée Marmottan) ; Champ de coquelicots (Argenteuil) (1873, Musée d’Orsay) ; Gare Saint-Lazare (1877, Musée d’Orsay) ; la série Nymphéas (1897-1926) dans divers musées ; et Étang aux nénuphars : Harmonie verte (1899) Musée d’Orsay.
Affaiblissement de la vue et dernier projet de peinture
Le succès aidant, Monet peut agrandir son domaine à Giverny en réservant un petit ruisseau, l’Epte, et en aménageant à sa place des étangs dans un fabuleux jardin. Ce jardin, transformé à l’envi, sera son seul réconfort lorsque le destin lui portera des coups cruels : la mort de sa seconde épouse en 1911 et celle de son fils Jean en 1914.
Comme Degas, il souffre des yeux, subit des opérations et devient un temps aveugle. Enfin, en 1922, une double cataracte altère sa vision. Ce qui ne l’empêche pas d’entreprendre une œuvre fabuleusement ambitieuse. Une œuvre si ambitieuse, si impénétrable malgré son aspect extérieur, qu’elle est restée longtemps incomprise. Pour les uns, c’était un chef-d’œuvre ; pour les autres, c’était quelque chose d’indigne, voire de méprisable.
Commandée par Georges Clemenceau pour l’Etat, «Nymphéa» se compose de 73 mètres de peintures disposées en forme de cercle. Le thème est celui des étangs ornés de lys. En fait, ces œuvres sont une réflexion sur le temps qui passe, une tentative de compréhension du monde. Reprenant une expérience qu’il a menée vers 1910, Monet réduit le champ de vision de l’objet, l’observe d’un point plus proche et fait ainsi apparaître la fuite de la perspective. Ce faisant, il renverse le monde entier et place les tons les plus clairs aux pieds du spectateur, habituellement habitué à les trouver au-dessus de sa tête.
Les éléments du paysage, branches et feuillages, qui lui permettent également de conserver une impression de hauteur et de profondeur, sont mélangés et absorbés par leurs reflets. Il est donc difficile de déterminer la situation exacte. La matérialité et le poids de ses éléments sont juxtaposés de telle sorte qu’ils se perdent avec et dans le reflet de la lumière. Les niveaux verticaux et horizontaux, l’opacité et la transparence ne s’opposent plus clairement dans l’esprit du spectateur, qui se retrouve soudain dans un monde où la spécificité des choses, leur poids, la topographie et le lieu se mélangent en un fabuleux méli-mélo. Enfin, la disposition circulaire des œuvres, voulue par Monet lui-même et soigneusement observée dans leur présentation au musée de l’Orangerie, renforce encore cet effet de nouveau monde étrange.
Comme l’observaient les architectes baroques, l’effet circulaire ne permet pas au spectateur de se repérer facilement et il est plutôt perdu. La confusion est donc accrue ; l’œil, incapable de trouver un point d’appui confortable, glisse le long de la bordure et perçoit, en quelque sorte, le passage du temps. Au lieu de la contemplation frontale habituelle, il semble être au sein de la nature, embrassant un vaste paysage qui n’a ni début ni fin.
La hauteur de la frise perturbe également sa position par rapport aux phénomènes représentés. Les transitions bien calibrées entre les mondes lumineux évitent le sentiment de discontinuité. Tout est lié - l’aube, le midi, la mi-journée et le crépuscule - et forme une sorte de continuité. Ainsi, le spectateur, avec une perception inversée, avec la disparition des repères familiers et une conscience perdue de la division du temps, se sent emporté dans un monde où les catégories et les ordres de choses sont coupés et disparaissent. Une impression libératrice se répand. Le monde se dématérialise et se transforme sous ses yeux. Il devient fluide, énergie libératrice. Seule la lumière se répand dans ce monde dépourvu des limites imposées par l’existence humaine. Elle exige que le spectateur fusionne avec elle - c’est la seule façon de répondre à son impulsion calme et active. En un instant, la fusion de l’homme et de l’élément est accomplie et peut être vécue. Derrière la lumière, qui est devenue le personnage central, apparaît le mécanisme même de la vie.
Bien sûr, Monet ne pouvait pas prévoir la moralité que les nouvelles générations tireraient de son œuvre. Kandinsky, ayant pris connaissance d’un tableau de Monet exposé en Russie en 1895, écrit (Regards en arriere) : "Jusqu’alors, je n’avais connu que l’art naturaliste et, à vrai dire, l’art russe….. et soudain je me suis trouvé pour la première fois devant un tableau qui, d’après le catalogue, représentait une meule de foin, mais que je n’ai pas reconnu. Cela m’a beaucoup troublé et inquiété. Mais j’ai constaté avec horreur que le tableau ne m’avait pas seulement surpris, mais qu’il avait aussi laissé une empreinte indélébile dans ma mémoire, se réarrangeant sous mes yeux dans les moindres détails. Tout cela restait confus dans mon esprit, et je ne pouvais pas encore prévoir les conséquences naturelles de cette découverte. Mais je voyais clairement le pouvoir incroyable, inconnu de moi, de la palette, qui dépassait tous mes rêves. Le tableau me semblait doté d’un pouvoir féerique".
Sur la manière dont l’art impressionniste de Monet a conduit à l’abstraction, voir : Du réalisme à l’impressionnisme (1830-1900).
Nous apprendrons plus tard à quoi a abouti cette interrogation du sujet, cet indice de sa nature exigeante. Quelques années plus tard, un autre artiste, engagé très tôt dans le divisionnisme, réfléchit sur la lumière et la couleur. Robert Delaunay étudie les théories de Chevreul et en tire le terme «de contraste simultané». À partir de 1912, dans ses célèbres «fenêtres» et «formes circulaires», il démontre deux idées issues des expériences impressionnistes. La première est que la lumière en constante évolution "donne elle-même naissance à la forme indépendamment de la présence d’objets". La seconde est que "les formes autonomes de la lumière impliquent la perception du mouvement".
Ces deux concepts vont constituer la base de son développement ultérieur. Pierre Francastel écrit à propos de son œuvre de 1934 «Rythmes sans fin» : "C’est, pour ainsi dire, l’aventure des rayons lumineux à travers l’atmosphère". En ressuscitant cette idée, qui fut à la base de ses grandes découvertes de 1912…. il écrit une sorte de poésie lyrique sur la lumière solaire et le cosmos". En fait, à la fin de sa vie, Delaunay retourne en quelque sorte aux impressionnistes d’où il est venu. Un jour, ses «Rimes sans palmes…» seront comparées aux Nymphéas «de Monet».
Fernand Léger dans une conférence à l’Académie Vassiliev en 1913 qualifie l’impressionnisme de point de départ de la peinture moderne. "Les impressionnistes, les premiers à le faire, ont rejeté la valeur absolue du sujet pour ne considérer que la valeur relative", écrit-il. "C’est le lien qui relie et explique toute l’évolution moderne…"
Ces notions de mouvement, de traduction des sensations, d’intensité de leur perception, d’instabilité du monde et de son image, font partie de la démarche des impressionnistes. Elles seront reprises par la jeune génération et interprétées différemment, très souvent transformées au point d’en être méconnaissables. Mais il semble que nous n’ayons pas encore dépassé, ou que nous ne fassions que traverser, la domination du sensationnalisme.
Si les impressionnistes ont eu l’ambition de la transposer sur la toile, les artistes qui leur ont succédé ont encore accentué leurs efforts. Il ne s’agit pas tant de se tenir en un point fixe devant un paysage qui se transforme d’heure en heure, mais de voir le personnage lui-même en mouvement à travers un paysage vu simultanément de différents points.
L’exposition des derniers «Nymphéas» de Monet, jusqu’alors enfouis dans son atelier et donc inconnus, a permis une nouvelle appréciation de son œuvre. Si la rapidité avec laquelle il saisit l’éclat fugace de la lumière met le spectateur en extase, ou plus encore si l’on apprécie ses grandes séries, il faut bien admettre que «Nymphaea» reste quelque chose de spontané et d’inhabituel. Cette image désordonnée d’un monde désordonné est restée incomprise.
Mais entre-temps la science est venue à notre secours et nous a permis de mieux la comprendre. Ce qui avait longtemps semblé une illusion, peut-être même le résultat d’une anomalie de la vision, est devenu plausible à la lumière des récents travaux théoriques de la physique. La vision poétique de Monet a soudain semblé plausible. La physique moderne nous a fait découvrir que la matière n’est plus inerte, mais qu’elle est une sorte de condensé d’énergie, aux réseaux infinis et en perpétuel mouvement. Ainsi, alors que l’artiste s’efforçait de parvenir à une fusion des éléments, à une compréhension complète du monde, les éclairs de son intuition ont atteint ce qui s’est avéré plus tard être la réalité. Une fois de plus, la poésie a pris place à côté de la science. Et, comme dans le premier cas, la peinture a ouvert une nouvelle voie pour donner un sens au monde, le percevoir et le montrer.
L’œuvre de Monet, mais aussi celle de son élève le plus proche Camille Pissarro, du sous-estimé Alfred Sisley, du déterminé Degas, du virtuose Renoir et du méticuleux Cézanne, a contribué à créer le premier courant de l’art moderne, a ouvert la voie au fauvisme, expressionnisme et aux compositions sensibles à la couleur de l’expressionnisme abstrait .
Nous sommes profondément reconnaissants pour l’utilisation d’un extrait du livre «Impressionnisme» de Jacques Lassagne (1966).
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