Impressionniste Edouard Manet Automatique traduire
«Ce serait un artiste, un véritable artiste», écrivait Baudelaire, «qui pourrait nous faire voir et comprendre combien nous sommes majestueux dans nos smokings et nos souliers vernis». C’est bien ce qu’il est, et même en chapeau haut de forme, dans la première grande composition de Manet «Musique au jardin des Tuileries», peinte en 1860-1 et exposée au printemps 1863 à la Galerie Martinet : une grande composition, malgré son format moyen (76×120 cm), et exceptionnelle par sa densité, puisque plus de cinquante personnes y sont regroupées. Avec un peu d’attention, on peut reconnaître un certain nombre d’amis et de figures parisiennes de l’époque, assis, debout ou inclinés. Particulièrement frappants, malgré la liberté d’interprétation, sont les personnages debout serrés les uns contre les autres, la distribution animée des grands chapeaux groupés autour des corolles à larges bords des bonnets de soleil, les coiffures et les vêtements féminins, peints en grands aplats clairs rehaussés par des notes de couleurs vives très contrastées.
❶ Origines et influences
❷ Histoire ancienne
❸ Impressionniste Édouard Manet
❹ Impressionniste Claude Monet
❺ Impressionnistes Renoir, Sisley, Pissarro, Degas, Cézanne
❻ Monet et Pissarro à Londres
❼ Développement de la peinture impressionniste
❽ Expositions impressionnistes
❾ Regroupement
❿ Héritage
Pour les œuvres ultérieures de Manet, voir : Balcon (1868) ; Portrait d’Emile Zola (1868) ; Berthe Morisot avec un bouquet de violettes (1872) et Ouvriers de la route, rue de Berne (1878).
Il n’y a rien d’arbitraire dans le fait que tant de personnes soient réunies ; elles sont dans un cadre naturel et se sentent à l’aise. Cependant, le tableau est sans doute peint en atelier, comme c’était la coutume. Mais le progrès est évident si l’on se rappelle les grandes compositions de Courbet , qui sont toujours dominées par le caractère symbolique de chaque personnage, quelle que soit la beauté de leur traitement individuel.
Pour la première fois, Manet nous donne à voir toute une société dont l’aspect concret est transmis par la perception pure. Il ne s’agit pas d’individus placés les uns à côté des autres, mais des différents éléments articulés d’une réalité collective dans laquelle les facteurs distinctifs s’effacent et se dissolvent dans l’ensemble. Dans «Le vieux musicien», Manet peint encore une juxtaposition de personnages - on pourrait dire de promeneurs, puisqu’il s’agit d’une sorte de modèle d’inventaire - chacun dans une pose et une place fixes, et pourtant avec une étonnante puissance de présence individuelle.
«La Musique aux Tuileries» peut être considérée, avant et bien plus justement que «Le Déjeuner sur l’herbe», comme la première œuvre de la peinture moderne, celle qui illustre le mieux ce que Malraux a si bien défini comme la peinture sans autre signification que l’art de peindre. Dans l’oeuvre de Manet apparaissent pour la première fois une sorte de simultanéité des sentiments (au lieu de la forme fixe de la composition) et, dans cette subordination de leur force, une série de déformations nécessaires. Certaines figures acquièrent une échelle disproportionnée, des masses de couleur apparaissent. Ce qui compte, c’est l’effet de l’ensemble. C’est aussi une œuvre où tant de détails, soulignés et agrandis, serviront de base à des tableaux ultérieurs de Manet ou même de ses amis, Monet ou Renoir, qui reprendront cette combinaison de jaune et de bleu, ou ce vêtement de soie à rayures noires et blanches.
Curieusement, Manet ne s’autorisera plus jamais de telles ambitions, sauf pour une toile encore plus petite (61×74 cm) «Bal masqué à l’Opéra» (1873), où l’on voit un ballet encore plus austère de hautes formes noires, dans une atmosphère transparente, puisqu’il se déroule dans la lumière d’une pièce fermée plutôt que dans la nature. C’est peut-être à ce tableau que Mallarmé se réfère, le considérant comme l’apogée de l’œuvre de son nouvel ami. Quand on connaît la réticence volontaire qui caractérisait Manet, toujours en retrait dans son travail, on en vient à penser que ces deux œuvres exceptionnellement ambitieuses et significatives portent l’empreinte non pas d’un mais de deux génies créateurs : Manet et Baudelaire dans le premier cas, Manet et Mallarmé dans le second.
Si Manet se présente à nous comme un découvreur hors du commun, n’est-ce pas parce qu’il possède le regard de ces deux grands poètes, devenus en quelques années les plus grandes et les plus significatives figures de la pensée française? Certains ont tendance à minimiser l’importance de son amitié avec Baudelaire, parce que le poète ne lui a pas accordé l’attention qu’il accordait à Delacroix, Dumier, ou même Constantin Parny.
Mais l’œuvre de Delacroix, si grande qu’elle ait été dans sa vieillesse, appartient déjà au passé, et la nouvelle peinture (c’est ainsi qu’on l’appelait avant le nom d’impressionnisme, beaucoup plus large et qui convient mieux à Manet) venait à peine de commencer. Baudelaire la vit non pas comme un observateur extérieur, mais en Manet. C’est lui qui, au moment des odieuses attaques contre «Olympia», malgré son état désespéré, trouve la force d’écrire à Manet sa fameuse lettre dans laquelle il exhorte et soutient l’artiste. Peu après, Baudelaire cesse d’être lui-même, incapable d’écrire et de parler. Il meurt, laissant au moins deux tableaux de Manet à ses côtés.
Quelques années plus tard, Mallarmé devient l’ami le plus proche de l’artiste, le rencontrant quotidiennement le matin à l’atelier ou l’après-midi après l’école, ayant de longues conversations et échangeant des points de vue, qui se reflètent dans les illustrations de la traduction «du Corbeau» de Poe et de «Avant le sommeil», ainsi que dans le portrait merveilleusement moulé que Manet peint de son ami, qui reproduit exactement le portrait de son interlocuteur.
Ceci témoigne de l’attitude exceptionnelle de Manet à l’égard de ses amis artistes et explique l’adoration qu’ils lui portent, la vénération qu’ils ont pour lui et, à l’inverse, la réticence qu’on lui reproche parfois, par exemple lorsqu’il se tient à l’écart de leurs expositions. Malgré toutes ses réticences, il possède une force physique unique et indomptable.
Cette manière ne dépend pas de son activité picturale, elle rejette toute activité théorique et n’est que le résultat de la forme, de l’art de vivre, de l’élégance, du dandysme (rappelant Baudelaire), de l’urbanité et du goût de la dispute, non sans une extrême sensibilité (il s’est un jour disputé furieusement avec son ami Duranty alors qu’il pensait avoir trouvé des réserves dans la pensée de ce dernier). Il était toujours caractérisé par une grande curiosité, parfois par une fatigue soudaine. écrira plus tard Mallarmé en essayant de se rappeler les traits caractéristiques d’un ami disparu.
Manet se caractérisait aussi par une grande simplicité, voire une naïveté. Mallarmé parle de son «ingénuité». Il se réjouit d’être admis au Salon et ne veut rien de plus, tout comme Baudelaire cherche à obtenir avec une énergie redoublée son élection à l’Académie française. Ni l’un ni l’autre ne veulent être la cause d’un scandale, et pourtant, comme l’écrit très justement Georges Bataille, Manet va devenir l’instrument accidentel d’une métamorphose.
Pourquoi le scandale et pourquoi Manet? Jusqu’alors, sa carrière avait montré tous les signes de l’éclat et de la maîtrise. Il est connu depuis ses années d’études dans l’atelier de Couture : en 1861, un portrait de ses parents, exécuté dans une forme plutôt hollandaise, est reçu avec honneur. Par la suite, sa sympathie pour l’Espagne, partagée depuis l’époque du romantisme par tant d’artistes et d’écrivains, n’est pas surprenante. Il honore toujours le modèle, bien qu’il le traite d’une manière inhabituelle.
Le coup tombe sur l’exposition de «Musique aux Tuileries», entourée de peintures espagnoles, à la galerie Martinet en mars et avril 1863. Les vrais historiens de l’art et les artistes ne s’y sont pas trompés. Le jeune Monet, qui à cette époque ne connaît pas encore son auteur, subit un véritable choc. Le Saül de l’impressionnisme trouve son chemin de Damas. Mais la véritable réaction n’éclate que le 15 mai de la même année, lorsque Manet expose «Déjeuner sur l’herbe» au Salon des Refusés du Palais de l’Industrie, que l’Empereur a généreusement laissé se dérouler en raison du conservatisme extrême de l’Académie française représentée par le jury du Salon. Cette hystérie se poursuivit pendant trois ou quatre ans, et fut renouvelée au Salon de 1865 par le tableau «Olympia» peint en 1863.
Aujourd’hui, il est presque impossible de comprendre comment ces deux tableaux ont pu provoquer des insultes aussi grossières et une opposition aussi farouche entre les parties. Les arguments ont été cités si souvent qu’on ne peut plus y revenir ; ils n’ont plus d’intérêt en eux-mêmes, ni par leur répétition monotone, ni par leurs auteurs, aujourd’hui complètement oubliés. Cette violence ne s’explique guère par une prise de conscience distraite de l’importance de Manet, du rôle qu’il avait à jouer, sans savoir exactement lequel. Elle permet de tempérer la fureur de ses ennemis.
Parmi les prétextes qui auraient pu la provoquer, je n’en vois qu’un, que Manet n’a certainement pas voulu, mais qui tient à la technique des contrastes qu’il a développée : les nus au centre des deux tableaux n’ont plus rien à voir avec les figures de l’école de dessin traditionnelle, mais évoquent par leur blancheur obscène un déshabillé qui, placé dans le cadre de la vie quotidienne, excite profondément l’hypocrisie de l’époque. (Rappelons l’impératrice outragée frappant de sa canne un beau nu dans le tableau de Courbet «Source»). Ces couleurs blanches attirent encore le regard aujourd’hui, alors que les contemporains les considéraient comme sales.
Quelle que soit l’occasion, le choix n’aurait pas pu être plus mauvais. Les deux compositions, comme l’ont vite montré des esprits plus clairvoyants et plus froids, s’inspirent des exemples les plus classiques de la Renaissance : «Le Jugement de Pâris» de Raphaël rendu populaire par les gravures de Marcantonio Raimondi. Certes, dans le «Déjeuner sur l’herbe», l’effet choquant est l’alternance de personnages nus et habillés (dont l’un est assez comique en veste fermée et bonnet à pompon), représentant une succession d’instants plutôt qu’un groupe homogène. Le paysage est également présenté comme un décor de plantes changeantes d’où jaillissent des fonds lumineux.
Ce qui nous frappe le plus aujourd’hui dans cette œuvre hybride, c’est l’insolite nature morte du premier plan, étalée sur un vêtement bleu. En revanche, «Olympia» est une œuvre d’une merveilleuse unité, où tous les éléments s’enchaînent sans la moindre rupture et se fondent les uns dans les autres, donnant l’impression de l’opulence de ce corps léger et élancé.
Les espaces de légèreté - chair mate, coquille jaune-rose et feuilles bleutées - sont dilués par plusieurs éléments de noir, de plus en plus saturés jusqu’au ruban sur lequel la tête semble coupée. Le tout est distribué avec une dextérité royale. Il s’agit d’une œuvre superbement exécutée, et l’on comprend pourquoi Monet l’a ensuite choisie sans hésiter comme objet d’une souscription nationale pour le Louvre. Dès l’exposition du tableau, le triomphe de Manet est assuré. En effet, en cette année 1865, qu’est-ce qui pourrait l’en empêcher? D’où la rage impuissante de certains. Manet reste donc seul. Il emporte tout devant lui.
Parmi les autres artistes de son époque, Degas expose une autre de ses grandes compositions classiques, «Les malheurs de la ville d’Orléans», pour laquelle il est félicité par l’éminent peintre Puvis de Chavannes . Cézanne n’a pas encore donné sa pleine mesure. Parmi les autres peintres impressionnistes (dix ans plus jeunes que Manet), le groupe le plus important - Monet, Sisley, Renoir et Bazille - sort à peine de l’atelier de Glair et n’a pas encore eu le temps de montrer ce dont il était capable. C’est pourtant là que se prépare la relève, grâce à des partisans comme Paul Durand-Ruel . Pour plus de détails, voir : Les meilleurs tableaux impressionnistes .
Nous remercions Jacques Lassagne pour l’utilisation d’un extrait de «L’impressionnisme» (1966).
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