Enguerrand de Charenton (Quarton):
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L’un des plus grands maîtres anciens du XVe siècle français, Angerrand Carton a contribué à la peinture française plus particulièrement aux tableaux religieux, aux manuscrits enluminés de cour, et aux retables .
Six peintures de Carton ont été documentées, mais seules deux ont survécu. Il s’agit de «Notre-Dame de la Miséricorde» (1452, Musée de Condé, Chantilly), réalisée avec l’aide d’un artiste inconnu, Pierre Villatta ; et «Couronnement de la Vierge avec la Sainte Trinité» (1453-4, Musée municipal, Villeneuve-le-Avignon). Ces œuvres impressionnantes de l’art chrétien combinent des éléments de la peinture flamande (œuvres de Jan van Eyck et Rogier van der Weyden) et de la sculpture gothique, ainsi que des motifs de l’école de peinture siennoise (notamment de Simone Martini, qui a également travaillé à la cour papale d’Avignon), d’autre part. En outre, les historiens de l’art du musée du Louvre à Paris attribuent aujourd’hui à Carton la Pieta de Villeneuve-le-Avignon, communément appelée la Pieta d’Avignon (vers 1454-6, Louvre), peut-être la plus belle peinture à la détrempe française de cette époque. C’est pourquoi il est aujourd’hui considéré, avec Jean Fouquet (1420-1481), comme l’un des plus grands peintres de l’Europe du quinzième siècle.
Biographie
Carton (version latinisée Charonton ou peut-être Charreton) est né en Picardie vers 1415 ou avant, et a probablement reçu son éducation entre 1430 et 1440. À en juger par les nombreux éléments gothiques de ses œuvres, son style s’est formé dans le nord de la France. La monumentalité de ses peintures et de certains symboles est due à la sculpture gothique des cathédrales, mais il y a également de nombreuses preuves de l’influence des artistes flamands , tels que Jan van Eyck (1390-1441), Robert Kampen (maître de Flemalle) (c. 1378-1444), et Rogier van der Weyden (1400-1464). Dans les années 1430, la Picardie se trouvait dans la sphère d’influence de la Bourgogne et de tels contacts auraient été facilement accessibles.
Un proche contemporain flamand d’Angerrand de Charonton : Petrus Christus (c. 1410-75).
Le réalisme dont Carton s’imprègne fait de lui «un peintre moderne» du milieu du XVe siècle, sensible aux formes extérieures, aux lignes du visage ou du paysage, au glamour retrouvé de la vie citadine. Cependant, Carton a toujours gardé cette richesse de détails dans sa vision de la forme, qui emprunte aussi bien à la peinture du nord de la France qu’à celle du Midi. De la tradition gothique séculaire, il a hérité la capacité de travailler avec des arabesques imposantes et expressives. La Provence lui a donné une qualité de lumière et de paysage qui lui est propre et qui se traduit par des contours esquissés soulignés par des ombres courtes, avec des masses simplifiées brisées par des bordures.
Carton n’a jamais séjourné en Italie, malgré de nombreux parallèles avec les œuvres de Domenico Veneziano (1410-1461), Paolo Uccello (1397-1475) et Andrea del Castagno (c. 1420-57), avec lesquels il n’a d’ailleurs aucun lien direct. Il a été influencé par un type d’art de la Renaissance italienne qui a été «transféré» en Provence - l’art de l’époque de Simone Martini et Matteo Giovannetti, auxquels il a emprunté plusieurs motifs. La similitude de certains détails de son œuvre avec l’art florentin de la première Renaissance s’explique par son contact avec des peintures qu’il a vues chez de nombreux banquiers et marchands florentins installés en Provence.
En Provence, il rencontre un artiste qui, comme lui, est originaire du Nord et a été formé par l’art de Van Eyck et des peintres de Tournay, mais qui a aussi été influencé par Midi, devenant le fondateur du style provençal du «cubisme». Tel est le maître du retable de l’Annonciation, exécuté à Aix entre 1443 et 1445, c’est-à-dire à l’époque où Carton réside dans la ville.
Toute cette susceptibilité prouve que Carton est relativement jeune lorsqu’il arrive en Provence. En 1444, on l’entend à Aix, deux ans plus tard à Arles, et l’année suivante à Avignon, où il reste jusqu’en 1466, date à partir de laquelle il n’est plus question de lui. La date de sa mort est inconnue, mais il existe sept contrats entre lui et divers clients : nobles, riches marchands, ecclésiastiques et collègues artistes. Ils concernent tous de grands retables, dont des prédelles (1446-7, 1452, 1453-4, 1461, 1462-4 et 1466), et une bannière de procession (1457-8).
Deux des tableaux décrits ont survécu et permettent, par comparaison, d’attribuer avec certitude à l’artiste deux autres œuvres non documentées. Curieusement, il n’existe aucune preuve que Carton ait reçu des commandes de René d’Anjou, le souverain princier de Provence, bien que René ait été un mécène actif et qu’il ait soutenu de nombreux autres artistes. Carton a créé différents types de miniatures pour des personnages importants de la cour de René, comme le chancelier de Provence, pour lequel Carton a peint un manuscrit enluminé connu sous le nom de «Missel Jean de Martin» (Bibliothèque Nationale de France, Paris).
Vierge de la Miséricorde
Le retable La Vierge de Misericorde ) Musée Condé, Chantilly) a été commandé en 1452 à Avignon à Carton et Pierre Villat par Pierre Cadart, Signor du Tor, dans le diocèse de Limoges. Il souhaitait que ses parents défunts soient représentés aux pieds de la Vierge Marie en compagnie de leurs saints patrons, les deux saint Jean. Le contrat mentionne également une prédelle , mais sans en préciser le sujet. Le doute sur le fait que le panneau de Chantilly soit l’œuvre commune des deux artistes ou de Carton seul a été levé par la similitude du tableau avec «Le Couronnement de la Vierge» Carton . On suppose donc que Villatte a exécuté la partie la moins importante du retable, la prédelle perdue . Le tableau de Chantilly impressionne par sa composition grandiose et son rythme dominant.
Couronnement de la Vierge Marie
Le contrat pour Le Couronnement de la Vierge (l’hospice de Villeneuve-le-Avignon) est le plus détaillé qui nous soit parvenu pour une œuvre d’art médiévale. Il a été rédigé en 1453 entre Carton et Jean de Montagnac, chanoine de St Agricole d’Avignon et chapelain de l’église de la Chartreuse de Villeneuve. L’œuvre, destinée à l’autel de la Sainte-Trinité à la Chartreuse, devait être achevée en septembre 1454. Elle ne pouvait comprendre la prédelle, et l’estrade prévue au contrat fut perdue.
Le projet était extrêmement ambitieux. Il évoquait l’ordre chrétien de la création dans son intégralité : le Paradis avec les saints et les élus, le Purgatoire, le monde avec les deux villes saintes, Rome et Jérusalem avec leurs plus grands monuments, et enfin l’Enfer. Le Saint-Esprit devait être représenté sous la forme d’une colombe, et il ne devait pas y avoir de distinction entre le Père et le Fils, selon le dogme du concile de Florence en 1439.
Certaines modifications de détail étaient laissées à la discrétion de l’artiste, en fonction de son sens artistique et des exigences d’équilibre et d’harmonie tridimensionnelle. Ainsi, autour de la Trinité, Carton a peint un motif d’anges rouges et bleus qui n’est pas sans rappeler ceux du diptyque de Fouquet «Melun» (1450-55, Koninklijk Museum of Fine Arts, Anvers ; Gemäldegalerie, SMPK, Berlin).
En 1449, pendant sa maladie, Montagnac fait un testament dans lequel il demande qu’une œuvre le représentant comme donateur avec saint Agricola devant la Vierge soit placée sur son tombeau dans l’église de la Chartreuse. A sa guérison, il annula cette commande et partit en pèlerinage à Rome puis à Jérusalem. Ainsi, Curnose est une commémoration de ce voyage.
Pour la réalisation du retable, Carton a puisé dans ses souvenirs de la sculpture des cathédrales du nord de la France : la partie inférieure représente un panorama de la Terre et le monde souterrain le Purgatoire, tandis que l’Enfer est représenté dans la prédelle . Le linteau actuel supporte un tympan dominé par la Sainte-Trinité. Au XVe siècle, le style développé par le maître de l’Annonciation d’Aix et Carton devient l’un des grands styles de l’Europe latine, à l’égal du florentin, de l’espagnol et du portugais.
Vierge à l’enfant
Aucun document connu ne mentionne le retable Vierge à l’Enfant entre St Jacques et St Agricola avec deux donateurs ) Vierge à l’Enfant entre St Jacques et St Agricola avec deux donateurs) (Musée d’Avignon), probablement inachevé. Sa provenance est inconnue et les armoiries ont été oblitérées, ce qui ne permet pas d’identifier les donateurs. Cependant, la couleur, le dessin, la densité, les visages tendus et les yeux creusés, la Vierge caractéristique, les mains, l’ombrage directionnel, tout indique le pinceau de Carton. Si l’évêque est saint Agricola, un saint particulièrement vénéré à Avignon, le tableau pourrait bien appartenir à la première période de travail de Carton dans la ville, vers 1447-50.
La Pietà d’Avignon
Le sujet de la Pietà d’Avignon (Louvre) (en particulier la façon dont saint Jean enlève la couronne d’épines) et sa composition ont influencé la Pietà de Tarascon peinte vers 1456 (Paris, musée Cluny), ce qui prouve qu’elle est antérieure à cette date. Elle était presque certainement destinée à la charte de Villeneuve, et certaines caractéristiques de l’œuvre, comme la composition, la figure du Christ, le dessin des yeux, des mains et des rochers, indiquent la paternité de Carton.
La saleté qui recouvre le tableau a complètement modifié la couleur, pourtant assez pure et austère, et a également altéré les formes, ajoutant un faux clair-obscur . Le donateur, un chanoine in amis, ressemble étrangement au portrait de Montagnac, qui apparaît deux fois dans le tableau de Carton «Couronnement de la Vierge». On peut donc supposer que Montagnac, au retour de son pèlerinage, a décidé de renouveler le tableau votif le représentant en donateur, qui devait être placé sur son tombeau à Chartreuse.
Le Couronnement de la Vierge, peint comme un retable, n’a pas pris la place du tableau votif (il n’a pas été placé à côté du tombeau du donateur et le représente très discrètement sous la forme d’un minuscule personnage en prière). En revanche, la Pieta «» avec la Jérusalem orientalisée et le canon du donateur au premier plan peut se targuer d’être une version véritablement nouvelle et «actualisée» du projet de 1449 conçu après le pèlerinage. À l’instar de Maître Flemalle, van Eyck et Roger van der Weyden, le donateur n’est pas représenté comme une figure archaïque, mais sur la même échelle que les saints personnages.
Héritage
Malgré le statut de Carton comme l’un des grands peintres médiévaux, et son influence considérable sur l’art religieux en Provence, ainsi que sur les travaux ultérieurs en Allemagne et en Italie, il est resté dans l’obscurité totale jusqu’en 1900, lorsque «Le Couronnement de Notre-Dame» a été exposé à Paris. Depuis lors, la prise de conscience de son importance et le nombre de peintures qui lui sont attribuées n’ont cessé de croître, jusqu’à l’attribution de la «Pietà» d’Avignon au milieu des années 1960.
Sur les autres artistes travaillant en France au XVe siècle, voir :
Melchior Bruderlam (c. 1350-1411)
Jacquemart de Esdin (c. 1355-1414)
Les frères limbourgeois (fl. 1390-1416)
Pour en savoir plus sur l’enluminure et la miniature européennes, voir :
Enluminures manuscrites médiévales (c.1000-1500)
Enluminures manuscrites romanes (c.1000-1150)
Enluminures manuscrites gothiques (c.1150-1350)
Les œuvres d’Angerrand Carton sont visibles dans certains des plus beaux musées d’art d’Europe.
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